En 1990, l’Amicale Jean-Baptiste SALIS procédait en Angleterre à l’acquisition d’un exemplaire. L’inspection technique faite avant l’achat ne permit pas de détecter l’état de délabrement de l’appareil et l’importance des pièces manquantes. À l’examen approfondi, il fallut se rendre à l’évidence : une simple révision suivie d’un lifting en peinture ne suffiraient pas à redonner une vie décente à cet avion, c’était une épave.
Soutenu par les équipes dirigeantes de l’AJBS, Robert ROGER se lança alors dans l’aventure, constituant une petite équipe dont il devint l’organisateur. Après l’aménagement d’un atelier, l’organisation d’un plan de travail, la recherche de documents, le chantier s’ouvrait.
Le démontage pouvait commencer. Moteurs, ailes, empennages, circuits, tout était noté, répertorié, photographié, et enfin stocké. Plus de 4000 pièces recevaient une étiquette. L’avion mis à nu, le long et minutieux travail de rénovation débutait. Chaque pièce, de la plus petite à la plus imposante était nettoyée, refaite, traitée, peinte, enfin assemblée. Dans l’ombre, souvent méconnus car discrets, ces bénévoles travaillaient avec optimisme et efficacité.
L’avion prenait forme, le poste était fini, le fuselage recevait ses circuits, le train d’atterrissage retrouvait sa place, amortisseurs tendus par une cure de jouvence. Les moteurs rénovés 0 heure retrouvaient une nouvelle jeunesse, avec un potentiel initial de 600 heures.
Cette rénovation a duré 13 ans, 20 000 heures de travail de bénévoles et 3500 de sous-traitance ont été nécessaires à la remise en état de vol de cette machine. Pour décaper les différentes couches de peinture accumulées au fil des ans, 3500 litres de décapant ont été utilisés pour le fuselage et 1500 pour les ailes.
Ces travaux ont demandé un investissement financier important. Si l’Amicale supporta la majorité des frais, une autre source de revenus s’avérait indispensable. Le Conseil Général de l’Essonne, perpétuant la tradition aéronautique du département (Port Aviation à Viry-Châtillon fut le premier
aéroport du monde en 1909), soutint le projet par des subventions annuelles, Puis EADS par une aide bienvenue permit d’accélérer efficacement la fin de la réalisation.
À ces aides s’ajoutent toutes les bonnes volontés dont ont fait preuve une foule d’anonymes, généreux donateurs, fonctionnaires et services de la DGAC
et de l’État, ou personnels d’entreprises aéronautiques ou mécaniques. Le Musée Aéronautique de Madrid a fourni de nombreux documents et certaines pièces. Les équipages du JU 52 de la Lufthansa ont adapté la documentation de vol, effectué les vols de certification et formé les équipages.
De plus l’avion par son origine est devenu une légende. Cette machine, que l’on croyait Ibère, posa lors du démontage une énigme, la plaque du constructeur était allemande et portait le N° 24, année de fabrication 1943, ce numéro ne correspondait à aucune référence.
La solution vint de longues recherches historiques. Lors de la vente de la licence à l’Espagne, l’Allemagne exigea de fournir 30 avions pour valider les chaînes de montage espagnoles. De cette pure origine Germanique et de sa version militaire découle la décoration choisie et justifie le respect de l’authenticité qui a prévalu dans sa reconstruction. Hormis les éléments modernes de sécurité exigés pour la sauvegarde en vol de cet aéronef, chaque instrument est d’époque et fonctionne correctement. Les 2 montres pilote ayant disparu, échanges et recherches ont pris 4 ans pour aboutir au montage de chronos authentiques d’époque. Et si les moteurs sont Espagnols, ils sont copie de Wright R 1830, et à cette exception près, le F-AZJU est donc un avion original allemand. Cette valeur historique est d’autant plus importante puisqu’il fait partie de nos jours, des seuls 7 exemplaires encore en état de vol au monde, sur les 6000 avions de ce type construit.
Depuis sa remise en état, l’avion a participé à de nombreuses manifestations en France, Allemagne, Suisse, Angleterre, Belgique et Hollande.
Partout le succès a été au rendez-vous, en vol ou en visites au sol. Il a souvent été le support de retrouvailles émouvantes entre les témoins de son époque, de différentes spécialités ou diverses nationalités. Jamais il n’a créé l’indifférence, et de rencontrer d’ex pilotes allemands ou français, des parachutistes civils ou militaires ou même un homme né dans un JU 52, tous retrouvant le cadre de leur jeunesse a toujours été une joie pour ses équipages.
Pour pouvoir poursuivre cette belle aventure, une équipe de bénévoles continue d’œuvrer pendant les mois d’hiver, effectue un travail de maintenance et de constante amélioration de la machine. Sans eux et le support de l’Amicale Jean-Baptiste SALIS, rien ne serait possible.
Junkers JU52/3M-4 SN N° 24
Propriétaire: Amicale Jean-Baptiste Salis
Immatriculé F-AZJU le 23/05/2005
Constructeur: Junkers, puis CASA sous licence
1er vol: 1931
Motorisation Allemande d’origine: 3 BMW 132 A de 660 Cv
Motorisation Espagnole du F-AZJU: 3 ENMASA BETA4 de 750 Cv
Envergure : 29,25 m
Longueur : 18,90 m
Hauteur : 5,53 m
Masse à vide : 6900 kg
Masse maxi décollage : 10500 kg
Vitesse maximale: 274 km/h
Vitesse de croisière: 200 km/h
Plafond : 8660m
Rayon d’action: 1200 km
Le Junkers Ju 52
Hugo JUNKERS est né dans une famille d’industriels de la filature en 1859, décédé en 1935. Titulaire de plusieurs diplômes d’ingénieur, installé à DESSAU, près de Berlin, il s’est d’abord illustré dans la construction de hangars, puis en perfectionnant ou inventant des moteurs à explosion, dont le célèbre moteur JUMO et enfin des avions. Son premier appareil, le Junkers J1 entièrement métallique sort en 1915.
En 1931 l’ingénieur Ernest ZINDEL, dessine le JU 52 ; monomoteur, prototype d’un avion civil de transport de fret. Partisan du tout métallique, le seul moyen d’économiser du poids tout en gardant une solidité et une bonne rigidité était d’utiliser la tôle ondulée. L’ondulation de la tôle lui permet de travailler à la compression, et offre ainsi une résistance acceptable, pour un bilan de masse réduit d’environ 1/3 par rapport à la tôle classique. Le cahier des charges de l’époque exigeait ; une cabine fermée pour une quinzaine de passagers ; une charge offerte de 1200Kgs à transporter sur une distance de 1200Kms ; et surtout une rusticité et une polyvalence d’utilisation assortie d’un entretien facile. Le dessin général de l’avion ne laissait pas présager de vitesses faramineuses. Un train fixe, des volets débordants et une foule d’appendices divers ne favorisaient pas la finesse. 5 prototypes monomoteurs furent construits. L’avion offrait un volume important, mais, sous motorisé, sa charge utile se révéla beaucoup trop faible.
En 1933, par l’adjonction de 2 moteurs sur les ailes, naissait le JU 52/3m. L’appellation JU 52 fut conservée, /3m ajouté pour désigner la présence de « 3 motors ». Avec une charge de 1800kg, sur 1200km à 200km/h, dans des conditions de confort ignorées jusqu’alors, l’avion était très en avance
pour l’époque. Il faut imaginer ce qu’était le transport aérien de l’époque. Les avions transportaient surtout du courrier, les rares passagers devaient embarquer avec le fret, revêtir des pelisses pour lutter contre le froid, se faire ballotter des heures sans contact avec l’équipage. Arrivait un avion moderne et confortable, le voyage se déroulait en tenue de ville, sur des sièges confortables, avec un service hôtelier, et comble du luxe, des toilettes à bord.
La Lufthansa le mit en service rapidement, et pour la première fois, Rome et Milan étaient desservis au départ de Berlin. Ce vol durait 8 heures, avec en prime un magnifique panorama offert par de larges fenêtres avec le survol des Alpes. De nombreux autres pays achetèrent des JU 52, et Dessau fut rapidement incapable de tenir la cadence. La construction fut donc décentralisée.
1935 vit la remilitarisation de l’Allemagne, le JU commença à voler sous les couleurs de la Luftwaffe. La version militaire dérivée ne se différenciait
que très peu de son frère civil. Transformé en bombardier, en avion de surveillance maritime, en chasseur de mines, il était surtout l’épine dorsale
du transport aérien de la Luftwaffe. Équipé de roues, de flotteurs ou de skis, il était utilisé sous toutes les latitudes et dans des conditions extrêmes météorologiques ou de climat. Transport de troupes, largueur de parachutistes, il ravitaillait les armées, depuis les steppes russes jusqu’aux confins
du désert libyen. Solide et rustique, s’accommodant de terrains rudimentaires, le JU passait, se posait, repartait et disparaissait. Les équipages de l’époque payèrent un lourd tribut au ravitaillement des différents fronts. Outre les matériels militaires le JU apportait le courrier, le vol retour se faisait avec civières et blessés en faisant une des premières ambulances volantes. Il fut alors affectueusement surnommé « TANTE JU ». (En langue allemande.).
Il représentait la Tante, célibataire, gentille vielle fille, pleine de rondeurs et de douceurs qui rassurait, cajolait et soignait ses neveux malades.
L’Allemagne construisit 4 835 JU52, l’Espagne 170 avec un contrat sous licence, qui servirent l’armée espagnole jusqu’aux années 70.
En France sortirent des chaînes de Colombes 321 exemplaires durant la guerre, tous remis à l’Allemagne, dont seulement 30 furent récupérés en 1945. Puis après la guerre de 415 avions JU52 sous l’appellation AAC TOUCAN. L’Armée de l’Air et l’Aéronavale les utilisèrent jusqu’au début des années 60. Plusieurs exemplaires exploités sur 2 ans permirent à Air France de ré ouvrir ses lignes désorganisées par la guerre.
Le JU52 décrit par un poète anonyme
LE JUNKERS 52 ET LES TROIS RÉACTEURS
Fable que nous ne devons pas à Jean de La Fontaine, mais à un inconnu qui ne semble pas s’être fait connaître; Qui sait, c’était peut-être un radio?
Un vieux Junkers volait
Passe encore de voler, mais voler à cet âge!
Disaient trois réacteurs passant dans les parages
Assurément il reculait.
Au nom du Ciel, souffrez que l’on se raille
De voir dans un pénible essor
Cet affligeant tas de ferraille
Essayer de voler encore!
Gardez vous bien, leur dit l’ancêtre
De vous moquer de mes cent ans!
Vous ne vivrez jamais peut-être
Aussi longtemps.
Le vieillard eut raison: l’un des trois mousquetaires
Ayant trop négligé
De se méfier des « G »
Se trouva par terre,
Le second, dit-on
Ne connut pas un plus beau rôle,
Car, manquant de pétrole
Pour aller à sa base, il alla chez Pluton…
Quant au dernier, il ne fut pas plus sage,
Car après un léger sursis,
Oubliant de sortir sion train d’atterrissage
Il s’écrasa aussi…
Ce sont là péchés de jeunesse.
Le Junkers ne les connaît pas.
Rien ne dit que le droit d’aînesse
Doit mener plus vite au trépas.
Et pour le JU que rien ne presse,
Il s’y dirige à petits pas.
J’ai piloté le Ju 52
Jean Claude FAURE raconte:
Lorsque l’on s’assoit pour la première fois dans le poste du JU 52, on éprouve une sensation de clarté. En effet l’ensemble du cockpit est vitré, devant, latéralement et au plafond. De plus la majeure partie de ces fenêtres s’ouvrent, il vaut mieux, car en été, point besoin d’investir dans un sauna, l’avion s’en charge.
Le saut dans le passé est immédiat, les manches sont en bois, ainsi que la commande de sortie des volets et du compensateur de profondeur , gros volant positionné sur le montant de la porte d’accès. Le palonnier gauche est constitué de deux grandes pédales, soutenant bien les pieds, mais surprise, ils ne sont pas équipés de freins. Le palonnier de droite est une simple barre, et force est de constater que sorti du neutre peu de force peut s’appliquer sur ce palonnier.
À l’époque, l’équipage de conduite n’était que d’un pilote en place gauche, un mécanicien en place droite, et un radio sur le siège central pour le décollage et l’atterrissage, qui rejoignait son poste en cabine en montée. Le mécano-pilote était communément appelé chez les Germains: » l’aide pilote de croisière ». Compte tenu de cette configuration, le premier pilote est toujours installé en place gauche.
Les planches de bord, tous instruments d’époque (1943), sont complètes. Avec 3 moteurs, nombre d’instruments sont triplés. Sacrifice à l’histoire, tous les équipements nécessaires à la sécurité ont été discrètement ajoutés: Extincteurs moteurs, radio VHF, VOR, transpondeur, et nous disposons chacun d’un GPS. Inutile de prendre des risques avec un avion d’une telle valeur historique.
Il est courant de comparer le JU 52 au DC3, car ils ont été produits à une époque identique. Ils sont pourtant très différents, de conception et de réalisation; et cela vient du fait que le JU est le dernier d’une génération, alors que le DC3 est le premier de la génération suivante.
Outre la tôle ondulée pour son revêtement, ce type de revêtement économise environ 1/3 de poids pour une résistance identique, le JU a des hélices
à pas fixe, le train non rentrant, pas de dégivreurs, d’essuies glaces, des freins à air, éléments « modernes » dont le JU n’est pas doté. Pourtant le nombre d’innovations techniques et ergonomiques apparues sur le JU sont résolument originales.
Il ne reste en état de vol que 7 exemplaires du JU 52, dont 4 en Suisse et 1 en Allemagne. Ces derniers sont exploités en transport public, et réalisent des vols de baptêmes « à l’ancienne ». De ce fait l’avion est classé comme avion de transport public, et soumis à certaines règles; équipage de professionnels, qualification de type exigée, classement de l’avion IFR. Le JU de Cerny est au contraire immatriculé en avion de type « collection ». La DGAC nous a accordé des aménagements et des dérogations qui nous permettent de faire voler l’avion dans le cadre de la collection en VFR seulement, et sans passagers.
L’exploitation d’une telle machine est l’exemple même de la nécessaire synergie du couple mécanicien et pilote. C’est un gros avion qui exige une qualité, une somme et un suivi d’entretien exceptionnel. La mise en œuvre demande une longue préparation avant chaque vol, et qui par sa conception même fait que le rôle des mécaniciens, primordial au sol, devient indispensable en vol. On a coutume de dire, si le pilote a été sage, les mécaniciens prêtent l’avion pour un petit vol. Un vol en JU se prépare longtemps à l’avance, en concertation avec l’ensemble de l’équipage, surtout si une escale est nécessaire. Il faut respecter les impératifs de chacun pour le bien de la machine. Et la préparation anticipée de chaque navigation, fait encore plus savourer le vol projeté.
Après la traditionnelle visite extérieure avant vol, on va prendre place sur le siège de gauche, mais avant cela il faut disposer tout ce dont on aura besoin pour le vol à portée de main. On constate la différence avec un avion plus moderne, car il n’y a aucun emplacement prévu pour la documentation. Il est vrai que dans les années30, seule une carte était nécessaire pour naviguer. La position est assez surélevée, et les genoux sont un peu pliés sur les étriers des palonniers. Ceinture mise, il faut abandonner l’idée de récupérer un objet tombé, ou situé à plus de la moitié du poste, les bretelles étant fixes et courtes. Après la préparation du poste, commence la séquence de démarrage. Cette procédure est effectuée par le mécanicien avec l’assistance du pilote en place gauche. L’ordre de démarrage standard est le moteur 1, (gauche), puis le 2 et enfin le trois. Abords dégagés, cales en place, fenêtres ouvertes, assistance au sol en place et attentive, sélection de l’injection essence sur le moteur 1, un poil de gaz sur la manette, 12 injections sont administrées dans le compresseur moteur, puis action sur le démarreur tout en continuant pour 12 injections réparties au passage de 12 pales d’hélice. Au commandement mécanicien « contact » le contact magnétos est positionné sur 1+2; et le moteur démarre dans un nuage de fumée bleue. Une fois les deux autres moteurs en fonctionnement, le temps de chauffe est variable suivant la température de l’air ambiant.
Sur le bas de la planche de bord droite se trouve 3 molettes. Celles-ci ont pour rôle de shunter le passage de l’huile dans les radiateurs. Cela permet de diminuer le temps de fonctionnement des moteurs pour qu’ils atteignent la température nécessaire à la montée en puissance.
Les essais moteurs terminés, le mécanicien annonce, « avion prêt pour le vol ». Gaz réduits, avion dégagé, le moteur central en position freinage, on procède à l’enlèvement des cales. Après le signe de l’assistant au sol, la voie est libre, commence le roulage où la coordination de l’équipage prend toute sa signification. L’avion est à train classique, la vision sur l’avant est bonne, mais le moteur central dissimule une partie de la trajectoire sur le côté opposé au pilote.
Heureusement, la vision de l’autre pilote couvre la partie occultée, reste invisible la partie proche de l’avion, donc en cas de nécessité, le mécanicien ouvre la canopée, debout, il sort la tête dans le vent des hélices pour assumer le guidage et l’anticollision.
La plus grande difficulté de pilotage du JU 52 est la partie déplacements au sol. En effet, l’avion a une surface latérale importante, une grande envergure, une roulette de queue non conjuguée, et surtout des freins à air. Ce type de frein est sans régulation de la pression, air admis égal air délivré au frein, le freinage nécessite une utilisation par impulsions.
Pour corser la difficulté, la commande des freins se fait par l’intermédiaire des manettes de gaz. L’action des manettes vers l’arrière délivre la pression, et la sélection se fait par le choix des manettes. Celle du moteur central agit sur les deux roues, celle de gauche freine la roue gauche, et celle de droite inversement, freine la droite. Donc au sol, pour tourner, il faut: palonnier du côté du virage, gauchissement à l’inverse, moteur intérieur réduit, moteur central avec un peu de gaz, cela pour souffler la gouverne de direction, moteur extérieur un peu plus de tours, enfin freinage par la manette du moteur intérieur. Facile non? Car en plus il faut coordonner et équilibrer le tout, anticiper sur la fin du virage, et intégrer le vent.
Déjà à cette époque, le pilote n’ayant que deux mains, la notion de travail en équipage se faisait sentir, car l’autre pilote aide au manche, le mécanicien au gaz. Tout cela impose une confiance mutuelle et une bonne coordination des trois membres d’équipage.
Actions effectuées, check-list lue, on s’aligne pour le décollage. La configuration du système de freinage permet trois types de décollages en fonction de la piste et de la météo. Sur piste non limitative, une progressive mise de gaz permet la prise de vitesse en gardant l’axe par de petites corrections au palonnier. Par vent de travers, manche dans le vent, on applique les freins sur les manettes extérieures, puis on affiche la puissance de décollage sur le moteur central. Bien ventilée, l’action de la gouverne de direction combinée au gauchissement dans le vent permet un bon maintien de l’axe.
Sur une piste courte, contrairement à la configuration précédente, on applique les freins à l’aide de la manette du moteur central. Avion immobile, on affiche pleine puissance sur les deux moteurs extérieurs, les tours établis, il suffit d’afficher les gaz sur le moteur central.
L’avion prend sa vitesse; vers 60Km/h une petite action à piquer sur le manche, et l’avion passe en ligne de vol. Dès lors il a tendance à vouloir se soulever, et la vitesse de sécurité au décollage retenue étant de 120Km/h on le force à se maintenir au sol. Dans le cas ou une panne moteur surviendrait dans cette phase de vol, le décollage serait immédiatement interrompu, la décélération et l’action sur les freins nous garantissent l’arrêt dans les limites de la piste. Après le décollage, on laisse la vitesse augmenter vers 150Km/h, meilleure vitesse de montée, les volets braqués à 10°, la puissance de montée est affichée sur les trois moteurs. Actions et check-list après décollage effectuées, la montée se poursuit dans la même configuration.
À l’accélération, il ne faut pas oublier de rentrer les volets. Une ergonomie innovante apparaît alors, la commande de compensation de profondeur se fait avec un grand volant, cerclé de bois comme il se doit, actionnant le calage du plan horizontal arrière.
Près de l’axe de cette commande se trouve un levier à deux positions. Haute, le volant agit sur la compensation de profondeur, basse, il permet le mouvement des volets, vers la sortie ou la rentrée suivant le sens appliqué au volant. Sur tous les avions la sortie des volets entraîne un couple dans le sens piqué, et inversement à la rentrée un couple dans le sens cabré. Sur le Junkers, en position action sur les volets, la compensation continue à être active, car sur le même axe. Donc en rentrée comme en sortie, le mouvement des volets n’influe pas sur la trajectoire. Cet avantage des années trente est réapparu sur les commandes électriques d’Airbus.
Dès le décollage, on se rend compte que cet avion a besoin de vitesse pour respirer. La montée se dégrade très rapidement si l’on laisse baisser la vitesse. Les meilleures performances de montée se font à 150Km/h volets 10°. Les volets complètement rétractés sont déporteurs à -2,4°. Cette option a été prise pour améliorer les performances de croisière. Une conséquence de cette particularité est que, en cas de panne de l’un des moteurs, on doit sortir les volets à 10°, et maintenir une vitesse supérieure à 140Km/h. Compte tenu du sens de rotation des hélices, et donc du couple, le moteur critique, celui dont la panne entraîne la plus grande dégradation du vol, est le moteur gauche. La panne du central diminue les performances, mais le vol reste confortable, celle du moteur droit est plus facile à gérer que celle du gauche. En panne moteur, si la vitesse venait à chuter, il est recommandé dans la limite des possibilités de rechercher impérativement de la vitesse, au détriment même de l’altitude. À propos des pannes moteurs, la documentation d’époque évoque la perte de deux moteurs. L’avion reste pilotable si seul le moteur central est actif, à masse faible et en surpuissance, il est même possible de maintenir l’altitude. Par contre en cas de perte du central et d’un latéral, la traduction littérale de la documentation dit: » le maintien de la puissance du moteur vif offre une prolongation du vol plané piloté, dans des conditions de sustentation acceptables ». Façon élégante de préparer un atterrissage forcé.
En vol les commandes sont agréables. L’avion est très sensible au centrage, mais le compensateur de profondeur est efficace. Les ailerons sont doux et homogènes. Par contre chaque braquage entraîne un fort lacet inverse, il faut donc utiliser sans restrictions le palonnier. La conjugaison des commandes est la base même du pilotage de ce type d’avion. La bille doit être au milieu dans toutes les phases de vol, et la moindre attaque oblique a pour conséquence une baisse de la vitesse. Il n’y a pas de compensateur de direction, et en croisière une légère pression à gauche sur la direction est nécessaire au maintien du cap. La machine est sensible à la moindre turbulence, et demande une attention particulière au maintien des éléments par dégradations météo. Par contre un conservateur de cap précis et très lisible aide à la tenue de la route.
Lors des essais en vol de sortie de restauration, les décrochages à basse vitesse réalisés moteurs réduits sont brutaux mais restent dans l’axe, et demandent une bonne altitude de récupération. Avec de la puissance, l’angle à cabrer est très fort, la moindre dissymétrie devient vite problématique, c’est pourquoi nous ne faisons qu’une approche du décrochage, interrompue dès les premières vibrations, cela est plus sur et fatigue nettement moins l’avion, tout en étant suffisamment démonstratif.
À l’arrivée au niveau ou à l’altitude choisie on applique une astuce des avions d’époque à profil d’aile épais. On dépasse l’altitude d’environ 100m; attention à la sécurité, on laisse l’avion accélérer vers sa vitesse de croisière, lorsqu’elle est atteinte, on transforme le surplus d’altitude en supplément de vitesse, et on affiche le régime moteur de croisière. La particularité de ces machines est d’avoir deux points de fonctionnement sur la polaire en croisière qui avec le même régime moteur maintient deux vitesses différentes une rapide, l’autre beaucoup plus lente. Pour le JU on obtient environ 210kmh, et si on s’y maintient, si la vitesse se réduisait il va progressivement se stabiliser vers 175Kmh, avec la pression d’admission à 0,80 ATA. Cette méthode permet de gagner du temps, et surtout d’économiser du carburant, car à 380 litres/heure d’AVGAS 100LL, la facture monte vite et le potentiel descend. Sur le JU, lorsque assis en place pilote on regarde les capots moteur, on remarque deux miroirs circulaires montés de chaque coté intérieur. En regardant à travers ce miroir, le regard traverse le champ de l’hélice du moteur observé, et l’angle réfléchi passe dans le champ de l’hélice du moteur central. L’effet stroboscopique produit une ombre. En affichant le nombre désiré de tours sur le moteur central, suivant le sens de déplacement de l’ombre cela indique que le moteur latéral tourne trop vite ou trop lentement. On a un synchroscope infaillible qui ne coûte que 2€ et un coup de chiffon de temps en temps pour tout entretien.
La descente est un compromis entre la vitesse, limitée à 270Km/h, et l’obligation de ne pas réduire les moteurs. En vent arrière, la vitesse inférieure à 170Km/h, sortie des volets vers 10°, puis vers 25° 140 Km/h qui sera la vitesse d’évolution. La sortie des volets à un braquage supérieur à 23° entraîne un abaissement des ailerons. Cela les rend plus porteurs à basse vitesse, mais améliore aussi notablement l’efficacité en gauchissement. Une conséquence inattendue est la création de tourbillons marginaux importants, attention donc aux remous induits, dangereux pour les avions à proximité. Cela inscrit le JU 52 dans la catégorie « medium » des turbulences de sillage, comme un Airbus A320. La présentation de l’avion en finale se fait sur un plan légèrement inférieur à 5%, en effet dans la configuration volets 25° l’avion a du mal à perdre sa vitesse. Plan corrigé au manche, vitesse adaptée aux gaz, la vitesse en finale est de 130Km/h. En cas de pites courte ou lorsque l’on veut économiser les freins le choix d’un braquage à 40° et d’une vitesse d’approche à 125Km/h s’avère judicieux. À masse moyenne, la vitesse de décrochage est voisine de 107Km/h avion lisse, mais diminue peu en fonction du braquage volets, 104Km/h volets 25°; 102Km/h volets 40°. Si la vitesse de décrochage varie peu, l’incidence, elle, paraît augmenter notablement, ce qui rend l’avion plus agréable aux commandes et beaucoup plus réactif. Les corrections en finale sont celles d’un avion lourd, il faut accepter quelques variations sans agir sur le régime, privilégier le transfert d’énergie, hauteur en vitesse et inversement. On garde une puissance moyenne sur les deux moteurs extérieurs, et l’action sur le central permet de petites corrections de trajectoires en plan ou en vitesse. En courte finale, réduction totale des gaz, et léger arrondi pour rechercher un toucher en 2 points sur le train principal. Il est déconseillé de faire des atterrissages trois points, car en cas de touché brutal sur la queue, il y a eu quelques ruptures de fuselage à l’arrière des ailes.
On garde l’avion queue haute, une bosse sur la piste pourrait renvoyer l’avion en l’air, sans une vitesse de sustentation acceptable, et avec une inefficacité des gouvernes pouvant être préjudiciable à la sécurité. Le freinage, se fait par impulsions sur la manette du moteur central. Chaque action de freins doit entraîner une préparation de correction aux gouvernes primaires; à cabrer si freinage queue haute, ou en direction s’il y a du vent traversier. En cas de vent latéral, limité à 22 KT, ou moins en cas de piste étroite, un posé aile dans le vent est plus confortable, mais à appliquer avec prudence, car une friction du bout d’aile, équipé d’une masselotte d’équilibrage d’aileron transformerait l’avion en charrue. Lorsque la vitesse diminue, on recherche un contact doux de la roulette avec le sol, puis le freinage peut devenir plus actif. Piste dégagée, volets rentrés, le roulage se poursuit jusqu’au parking.
La position haute, l’envergure de près de 30m, il est quelquefois nécessaire de se faire guider par un assistant au sol, surtout que l’étroitesse du train permet de rouler sur des cheminements étroits. Au parking, cales en place, essais magnétos effectués, 3 minutes de fonctionnement moteurs à 900t/mn sont nécessaires pour la récupération de l’huile dans tous les cylindres, et surtout un équilibre des températures moteur. Magnétos coupées, moteurs arrêtés, tous les circuits sur arrêt, documents de vol remplis et tour de l’avion effectué, on savoure l’immense plaisir d’un vol extraordinaire sur un avion mythique et attachant, en remerciant le travail de l’équipe technique qui a permis ces instants de bonheur
Pourtant, le vol n’est pas fini. La machine a besoin de soins. Nettoyage rapide, cales en place devant et derrière, blocages de toutes les gouvernes, amarrage de la machine si elle reste à l’extérieur, il reste à bâcher les moteurs et le poste de pilotage. Plus tard l’équipe technique viendra entourer l’avion de ses attentions. Refaire les pleins de carburant et d’huile, et bichonner cet avion historique pour offrir à tous la possibilité de l’admirer.